Une conférence très suivie

Ce 20 avril, l’amphithéâtre du lycée Pierre Paul Riquet de Castelnaudary a accueilli un public nombreux pour une conférence qui visait à donner les clefs pour comprendre le processus de radicalisation.

Une journée intéressante, introduite par le discours de M. Lantrin, directeur général de La Rouatière suivi par Ève Chambon, responsable des formations Éducateurs Spécialisés, Moniteurs Éducateurs et Technicien-ne de l’Intervention Sociale et Familiale dont voici ici retranscrite l’intervention :

 

 

 » Bonjour à toutes et à tous !

La journée de réflexion que nous vous proposons aujourd’hui, a cet objectif, de tenter de se donner des éléments ensemble pour avancer sur un sentiment d’impuissance face au tragique d’une facette de notre réalité aujourd’hui, où radicalisation, djihadisme sont des termes qui sont rentrés dans notre vocabulaire commun, face à une jeunesse en désespérance, proie de tout prédateur.
En novembre dernier, plus de 8200 jeunes ont été recensés comme étant des profils sensibles en proie à la radicalisation. Ce chiffre avait doublé sur la seule année 2016. L’Occitanie, cette belle région que chaque jour, depuis un an, je découvre, est impactée comme toutes les régions de France. En Languedoc-Roussillon, 700 personnes sont signalées pour radicalisation, à Lunel des jeunes sont passés à l’acte et sont morts au combat en Syrie.

La cible du fondamentalisme religieux, cet idéal total selon Fethi Benslama, s’est élargie, elle concerne des jeunes en désespoir d’avenir, d’autres confrontés à des troubles psychiques, ou encore d’autres en 2ème année de médecine, ou sciences politiques.

Si des facteurs socio-économiques aggravants peuvent se décliner, notamment pour toute une part de notre jeunesse laissée à l’abandon dans nos quartiers populaires, le facteur commun le plus déterminant du passage à l’acte, de ces jeunes femmes et hommes, est celui de la fragilité de la construction identitaire, face au désarroi de penser par soi-même, à l’inconfort de trouver le chemin de soi, celui de sa propre parole, sa propre vision du monde.

Face à ce vide abyssal, de ne pas trouver à se projeter dans la société qui est la nôtre, de ne plus croire en rien, ces jeunes vont trouver là un projet, une raison de vivre, un destin digne où il va s’agir de se projeter dans une mission humanitaire, un valeureux combat, se retrouver au milieu du désert avec une arme, un petit pavillon, un mari , une femme , le tout avec un 4/4 de luxe, comme dans un jeu vidéo, une série américaine. Cet idéal total a les contours de l’aventure, de sensations fortes, d’un sens donné à son existence.

Que pouvons-nous faire ?

Au niveau national, à l’issue des travaux de la Commission d’enquête parlementaire , relative aux moyens mis en l’œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme, qui se réunit régulièrement depuis la tristement célèbre affaire Merah, le rapport de juillet 2016 prévoie de créer une agence interministérielle chargée de la lutte antiterroriste à l’image du NCTC américain ( National Counter Terrorism Center) créé en 2004 qui a pour objectif de recroiser toutes les données collectées par les diverses agences américaines comme le FBI Federal Bureau of Investigation, la NSA National Security Agency, ou encore la CIA Central Intelligence Agency pour ne pas laisser passer d’informations importantes concernant de potentielles menaces terroristes.

Depuis fin 2014, un plan national de lutte contre les filières terroristes et la radicalisation violente a vu le jour. Numéro vert d’Assistance et de Prévention à la radicalisation, cellule de signalement piloté par les Préfectures via le Ministère de l’Intérieur, dans chaque département, région, sont mis en œuvre. Le Cabinet Bouzar que nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui, a créé le Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l’islam en avril 2014, et a été mandaté jusqu’en août 2016 comme « Équipe Mobile d’Intervention » par le Ministère de l’Intérieur, sur le territoire national et à disposition des préfectures. Le CPDSI a choisi de reprendre son indépendance dès septembre 2016.

Les dispositifs mis en œuvre, sont évidemment perfectibles, en dépit de différents signalements de travailleurs sociaux, d’enseignants, les informations ne se croisent pas toujours et dans le Gard, un Groupe local de traitement de la délinquance se structure pour croiser davantage les alertes. Christophe Cavard, Député écologique du Gard, a participé aux trois enquêtes parlementaires relatives à la lutte contre le djihadisme. Ancien éducateur, il nous parle de phénomène d’entrainement, dans son département qui a été l’un des premiers touchés, de phénomène d’entrainement et de problèmes d’identité, de reconnaissance, de jeunes totalement perdus, avant de parler de terreau socio-économique.

Il est à l’initiative de la proposition de création d’une « brigade d’éducateurs » spécialisée sur les questions de radicalisation , formulée dans le rapport parlementaire sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, face au recueil de plusieurs professionnels ,éducateurs, personnels de l’éducation nationale, qui se retrouvent parfois démunis face à des jeunes radicalisés ou en passe de l’être . Cette brigade servirait alors d’interface entre les éducateurs et les forces de l’ordre.  Christophe Cavard, comme d’autres initiatives sur le territoire composant avec des équipes de travailleurs sociaux, prône un suivi individualisé sur le long terme pour sortir de l’endoctrinement, ces jeunes à la fois coupables et victimes, comme le dit si justement Dounia Bouzar.

Il s’agit alors de faire le pari de la conversation, celui du maintien du lien social comme antidote à tous les replis, à la destruction du lien à l’autre.

«  Comme nous l’indique, le récent Appel de l’éducation du Centre interdisciplinaire sur l’Enfant de l’Ecole de la Cause Freudienne du 14 avril dernier : « Face au triomphe de toutes les formes d’emprise sur les esprits – emprises publicitaires ou intégristes, emprises idéologiques et claniques –, il nous faut une pédagogie de l’émancipation, une pédagogie qui apprenne à chacun et à chacune à « penser par soi-même » : surseoir à ses pulsions, prendre le temps de la pensée, nourrir la pensée par la culture dans le cadre d’une « instruction obligatoire » qu’il serait suicidaire de réduire. Voilà l’urgence pour les éducateurs. »

Il ne s’agit plus seulement de vivre ensemble, chaque groupe dans son pré carré en développement séparé, malheureusement nous en avons perçu tragiquement les limites, mais il s’agit plus que jamais de parvenir à faire ensemble société, « apprendre ensemble, fraternellement, pour que, de la confrontation sereine des différences, émerge un projet commun à l’horizon du possible. »

Cet impératif est plus que d’actualité en cette période sombre où nous sommes confrontés à la montée en puissance de tous les reculs, tous les replis, individualistes et communautaristes, intégristes de tout bord. Nous voici face à la menace de nos libertés publiques, face à des idéologies qui exacerbent les tendances qui portent à l’exclusion, la haine et l’affrontement.

A ces discours archaïques, il nous appartient par le pari de la conversation, du tissage du lien à l’autre d’opposer une pensée complexe qui se lance le défi d’appréhender la réalité dans toute sa pluralité. Sulayman Valsan, est un citoyen du monde, détenteur d’un master en expertise dans le domaine de l’éducation à l’international, il est riche de la maîtrise de deux langues, de deux cultures, il a vécu à Damas en Syrie, mais aussi au Maroc, globe –trotter, il est de ces individus qui incarnent la force de leurs singularités et de leurs différences. Dans ce monde pathétique qui voudrait entendre « l’identité comme ayant une racine unique qui prend tout et tue autour d’elle », comme nous l’indiquait Edouard Glissant, ethnologue, philosophe martiniquais, il nous appartient d’opposer, toujours avec Edouard Glissant, « une identité rhizome qui s’étend dans son rapport, dans sa relation à l’autre. » une identité-relation mouvante et créatrice, qui favorise la relation à tout autre, comme colonne vertébrale de la société, qui construit des espaces communs solidaires , en faisant de la reconnaissance des singularités plurielles le moteur du faire société.

Je vais passer ainsi avec plaisir le relais à Sulayman, qui, comme «  toutes celles et ceux qui dans leur quotidien mesurent les ravages de l’exclusion, de la ségrégation et l’importance de la transmission de valeurs contribuant à tisser le lien social, à favoriser la culture et le goût d’apprendre » va nous délivrer le fruit de ses travaux desquels nous pourrons tirer enseignements …. Pour que les jeunes n’aient plus envie d’aller combattre ailleurs parce qu’ici ils ne croient plus en rien ….

Pour trouver les mots justes avec celles et ceux qui agissent ne disposant pas de leur parole. Parler c’est déjà être en capacité de sacrifier ses pulsions, ses pulsions agressives. La parole vient à la place du passage à l’acte, de la violence, c’est le pari que nous devons tenir…
EC avril 2017. «